Le goûter du lion / Ito Ogawa

Le goûter du lion / Ito Ogawa
Editions Picquier, 2021, 258 p.

# Roman

Présentation

L’auteur relate l’arrivée de Shizuku, sans famille et en fin de vie, qui fait le choix de se rendre dans une maison de soins palliatifs sur l’Île aux Citrons, au Japon.


Dans ce roman sur la fin de vie et sur la mort, c’est surtout de vie dont il est question. Sans éluder les aspects difficiles de la maladie, Ito Ogawa décrit avec délicatesse et humour ce dernier séjour de Shizuku, en faisant défiler ses souvenirs. Ce roman, avec l’évocation de splendides paysages, paraît comme un endroit “idéal” pour quitter le monde, nous rappelant combien le désir de vie bat jusqu’au dernier souffle quand la douleur est prise en compte et soulagée.


La musique, les massages, le dessin mais surtout les plaisirs de la bouche ponctuent la vie de ceux dont les jours sont comptés. Ainsi, chaque dimanche, la maison propose un dessert concocté à la demande d’un pensionnaire, “un dessert qui vit dans leurs souvenirs et qu’ils aimeraient manger à nouveau”. Le rituel veut que la maîtresse de maison lise avant la dégustation un texte rédigé par le demandeur, qui raconte ses souvenirs liés à ce dessert. Sont ainsi révélées des tranches de vie, partagées en même temps que le goûter avec les autres pensionnaires de la Maison du Lion, savourant “le délice de la vie jusqu’à la dernière goutte”.

Par Isabelle Lafont, infirmière EMSP COMPAS

Extrait

La morphine est une substance légèrement amère et le vin rouge permet d’atténuer son goût désagréable. J’ai pris l’habitude d’accompagner mon dîner d’un verre de vin à la morphine et de m’endormir enveloppée d’une douce sensation d’apesanteur. […] Mais les douleurs ont recommencé à me réveiller en pleine nuit, m’empêchant de me rendormir.

Voulez-vous vous transformer en belle au bois dormant chaque soir, Shizuku ? m’a proposé Madonna, l’air de rien.

En Belle au bois dormant ?

– Parfaitement. Vous êtes belle, bien sûr, mais le plus important ici, c’est le mot dormant. La sédation nocturne vous assurerait un sommeil profond mais uniquement la nuit […]. L’insomnie peut-être due à la douleur mais aussi à l’anxiété. Voyez-vous, l’anxiété est une réponse à une illusion. Nous n’arrivons plus à dormir lorsque nous nous retrouvons coincés dans ces illusions. Nous pouvons forcer le corps à dormir afin de les ignorer car nous n’avons pas besoin d’elles.

Présentation

La Maison du Lion est un lieu de vie pour les personnes en soins palliatifs. Shizuku Omino, âgée de 33 ans et atteinte d’un cancer incurable a décidé de s’y retirer jusqu’à sa mort, interdisant toute visite. Et cette « maison » sera pour elle un lieu d’échanges et de rencontres inattendues. Ce sera aussi un lieu de « réparation » où elle pourra vivre ce qu’elle voulait vivre sans jamais avoir pu le faire jusqu’à présent. Ce sera surtout un lieu sans contraintes, un lieu de douceur, de petits plaisirs qui font avancer, un lieu où la gratitude nourrit la vie intérieure, un lieu où la colère laissera place à la tristesse, un lieu pour se retrouver soi-même ou plutôt se trouver soi-même en toute sincérité.


Indépendamment d’un contexte parfois idéalisé, l’auteur a su dépeindre avec justesse les émotions intenses et le cheminement singulier de son héroïne, le retour de l’infantile, l’aspiration au calme, au vrai, la persistance de l’espoir, mais aussi, la peur de la mort et l’impossibilité de s’y résoudre totalement ; autant de vécus quotidiennement présents en soins palliatifs.

Par Béatrice Forest, psychologue clinicienne

Extrait

– Tu sais, j’ai hâte de découvrir ce qui va se passer après la mort… Je me demande ce qui va se passer pour moi, et cette idée m’angoisse un peu… mais j’ai commencé à me dire qu’il y a forcément des petits plaisirs qui m’attendent. Ça m’aide à avoir moins peur.

– Des petits plaisirs ?

– Oui, après la mort. Il y en a tout un tas, à la Maison du Lion. Comme la carotte suspendue devant le nez de l’âne pour le faire avancer… Donc, penser que ce genre de petits plaisirs m’attendent après la mort me donne l’impression d’être sauvée. Que je peux continuer d’avancer, parce que j’en ai envie. Alors, si tu acceptais de venir sur cette plage pour me faire signe de la main… si tu
pouvais m’en faire la promesse, ce serait une carotte pour moi …

– Mais à quel moment je devrai le faire ? …

– Disons, le 3ème jour après ma mort.


Attendre une semaine me paraissait trop long, mais le faire le lendemain me paraissait trop précipité. J’ai donc coupé la poire en deux.