La mort ne s’affronte pas ! / Jérôme Alric ; Jean-Pierre Bénézech
La mort ne s’affronte pas ! / Jérôme Alric ; Jean-Pierre Bénézech
Sauramps Médical, 2011, 145 p.
# Essai
Extrait
Plutôt que de passer chronologiquement les phases de Kübler-Ross, nous soutenons que les patients, dès le départ de l’annonce de la menace de mort et jusqu’au bout de la vie, alternent entre réalisme et irrationnel. Selon nous, c’est cela qu’il s’agit de repérer, respecter et soutenir dans la rencontre de soin. Dans leur représentation et leur discours, les patients oscillent constamment entre des moments de lucidité gouvernés par la raison et des moments d’espérance, d’espoir fou, pourrait-on dire à l’intérieur desquels la fantasmatique guide la pensée. C’est ce qui, selon nous explique les contradictions, les retournements, l’irrationnel, dans le discours des patients.
Présentation
A partir de leur expérience clinique en soins palliatifs, et sur la base de la conception freudienne du psychisme humain, Jérôme Alric, psychanalyste et Jean-Pierre Bénézech, médecin, proposent une thèse : « la mort ne s’affronte pas ! »
Cette affirmation ne peut que nous interpeller compte tenu de la tendance actuelle à vouloir tout maîtriser au point d’imaginer que la mort puisse être adoucie et regardée en face.
Dans le champ des Soins Palliatifs, les écrits d’Elisabeth Kübler-Ross imprègnent la conduite à tenir en tant qu’accompagnants de personnes en fin de vie. Les auteurs nomment leurs points d’accord avec la psychiatre, en particulier l’observation du maintien de l’espérance. Toutefois, ils pointent une divergence : la peur de la mort est universelle et non l’apanage de nos sociétés modernes ; en conséquence, l’acceptation de la mort est une issue possible, mais ne saurait constituer l’aboutissement idéal d’une feuille de route à suivre. Seuls peuvent l’envisager ceux dont la mort surviendra, bien sûr, mais dans un futur le plus lointain possible. Quant à celui qui sait au fond de lui que sa mort est proche, il résiste. Une part de son psychisme, très agissante et issue de l’Inconscient qui ne connaît pas le temps, se refuse à mourir. D’où l’ambivalence, les contradictions dans son discours ; d’où l’alternance entre réalisme et irrationnel qui demande à être entendue ; d’où cette tendance qu’a le patient d’entretenir du flou autour de ce qui lui a été dit de l’évolution de sa maladie. Car le plus souvent il veut et la vérité, et l’espoir. Il a le besoin de s’accommoder avec la réalité, et toute prise de conscience forcée s’avère délétère. L’excès de savoir paralyse le psychisme qui est débordé. Un minimum de perspective, d’à-venir sont nécessaires pour se sentir continuer à exister.
Le patient est dans une telle fragilité psychologique qu’il est impératif de le protéger, de respecter les limites de son psychisme. Cela suppose que le soignant accepte de vivre une rencontre entre êtres humains vulnérables, qu’il gère sa frustration par rapport à son impuissance et son sentiment d’inutilité, qu’il cesse de vouloir amener le mourant vers l’acceptation de la mort, mort qui n’est pas la sienne mais celle de l’autre.
Si en tant que mourant, la mort ne s’affronte pas, alors, comment, en tant que mortels, faire avec la mort ? Ne pas l’occulter constitue une piste selon les auteurs.
Dans cet ouvrage, le lecteur trouvera également un éclairage anthropologique au sujet de l’impossibilité de l’être humain à faire face à sa propre finitude, ainsi que des éléments d’explication au sujet de ce que les auteurs appellent le « risque de légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté ». A ce sujet, ils rappellent que l’être humain est un être bio-psycho-social et spirituel, et qu’il s’agit de tenir compte de cette complexité pour éviter d’apporter une réponse simplifiée. Ils soulignent par ailleurs que la mort d’un individu ne concerne pas que lui, qu’elle a un impact sur ceux qui lui survivent.
Cette thèse, « La mort ne s’affronte pas » peut surprendre. Elle nous invite à faire preuve d’humilité face à notre condition humaine. Loin d’être tout-puissant, l’être humain est limité, notamment du fait de son fonctionnement psychologique ; et il n’est pas en capacité de s’autodéterminer en toutes circonstances. Quant à l’heure précise de la mort, elle demeure un mystère.
Par Béatrice Forest, psychologue clinicienne